Construire un projet thérapeutique peut devenir une mission périlleuse chez l'enfant qui présente un langage rare ou absent. L’enfant manifeste souvent une communication peu adaptée voire des troubles du comportement. Avec peu de moyen d’interaction avec son environnement, il ne parvient pas à s’adapter au cadre social. L’orthophoniste a alors pour mission de développer la communication, le langage, la parole. Ces notions imbriquées sont souvent mal comprises. Essayons d’éclairer les dynamiques en jeu dans la communication.
La pragmatique, soit les règles nécessaires pour adapter son comportement à un contexte donné, est une compétence très étudiée chez l’enfant avec peu de langage. Elle n’a pas qu’une valeur linguistique (Coquet, 2005). Elle prend racine dans l’exploration que l’enfant fait de son environnement, exploration qui mène à des manipulations, à des transformations, de cet environnement. Les compétences sensori-motrices comme terreau de tout échange social (pyramid of learning de William and Schellenberger). L’enfant met une intention
dans son geste moteur et/ou verbal, dans le déplacement des objets, ici des choses ou des mots ; de cette intention émerge des actions. Répétées, ces actions sont automatisées, pour devenir des praxies.
Envisageons le langage comme des schèmes moteurs. L’enfant a la même attitude face à des schèmes verbaux qu’il a face à des schèmes moteurs. Au début, il n’y a pas de distanciation entre l’énoncé et l’énonciation (13-18 mois) : si l’enfant voit un gâteau, il peut dire « to », sans adresser ce message à quelqu’un. Le signal verbal se confond avec le signal objet. La valeur verbale « to » n’a pas encore une fonction d’échange. Le mot a une fonction d’exploration, au même titre que la manipulation ou la transformation de l’objet, ou de la matière. Puis l’enfant entre dans des
échanges discursifs puisqu’il conçoit la permanence de l’énoncé qui se détache de l’objet. L’enfant dit « to » parce qu’il veut manger un gâteau, ou évoquer le moment du goûter, ou pour signifier qu’il est tombé par terre … etc. Le mot sous-tend des implicites, un contexte de situation, il signifie. Pour que le mot acquière une valeur informative, la reprise de l’énoncé d’autrui est nécessaire pour construire ces dissociations. L’écholalie aurait un rôle constructif, puisque l’enfant, apprend à reproduire des schèmes verbaux par la répétition immédiate de mots isolés
ou d’énoncés. Si l’enfant n’a pas développé les moyens pour atteindre un but, par la manipulation d’objets verbaux ou manufacturés de son environnement, il n’aura pas le langage évocation, qui raconte, informe, explique, demande (…etc). La communication ne se mettra donc pas en place.
Eclairons l’observation à l’aune des outils d’exploration de la communication de la batterie composite, la CELF 5.
La CELF 5 (5-18 ans) est une batterie composite
qui permet d’évaluer le langage expressif et réceptif de façon longitudinale, à partir de 5 ans. A cet âge, l’enfant produit en moyenne 1500 mots et en comprend un nombre illimité. Cet âge est clef dans le domaine des apprentissages. L’enfant peut entrer dans des consignes verbales. Il en comprend les implicites. Il évoque des objets ou des situations qu’il n’a pas sous les yeux. Il se détache du perceptif. Sa pensée s’organise, il peut penser le monde dans lequel il vit, sans l’explorer physiquement. Il comprend le rôle des interlocuteurs qui lui font face, mais aussi les règles conventionnelles sous-jacentes aux environnements, scolaire, familial, amical, etc
(…).
L’Échelle d’Observation de la Communication de la CELF 5 (5-18 ans)
fournit des indications précieuses pour repérer les adaptations, et difficultés, de l’enfant communiquant. Il s’agit d’un subtest autonome de 40 items, qui possède son propre étalonnage. Cette échelle dissocie les compétences en situation d’échanges verbaux, en réception « Écoute », et en production « Parole » ; mais aussi en situation de lecture et d’écriture. Ici on peut mettre en évidence un profil d’enfant en difficulté de communication au quotidien, versus à l’école. Les compétences développées à l’oral sont essentielles pour accéder au code écrit, mais elles
ne sont pas suffisantes. Bon nombre d’enfants souffrent de difficultés scolaires tout en étant à l’aise à l’oral. Les modules « Ecoute » et « Parole » mettent en évidence une problématique couramment rencontrée lors des anamnèses. Des enfants peuvent comprendre une situation routinière et familière, mais dès que la demande est nouvelle, inconnue de l’enfant, aucun indice ne soutient la compréhension de l’enfant qui ne peut réaliser l’action demandée. Accompagner la famille dans cette analyse, permet de mieux cerner les difficultés de langage de leur enfant, mais aussi l’accès parfois impossible à des
situations énoncées, non encore vécues, trop abstraites pour l’enfant. Ce type de profil doit sensibiliser à la capacité d’exploration sensori-motrice de l’enfant, à ses possibilités de penser en dehors de tout support perceptif. La routine constitue un appui perceptif fort, c’est du concret. L’enfant qui présente ces difficultés d’accès à l’abstraction ne parvient pas à développer ses compétences numériques puisque les gestes mentaux, les lois, ne sont pas encore intégrés par l’enfant. Il a encore besoin de manipuler et transformer la matière. Ici le suivi proposé se concentrera sur des ateliers de
manipulation, sans se focaliser sur des énoncés verbaux.
Maintenant si ce module « Écoute » est bien établi, mais que les résultats sont chutés au module « Parole », le travail consistera à développer le stock lexical de l’enfant. Gardons en mémoire quelques repères importants. A 2 ans l’enfant produit deux cents mots et construit des phrases à deux mots, à 5 ans il produit en moyenne 1500 mots et en comprend un nombre illimité. Il acquiert les marques de genre, de nombre, et les marques de temps. Ici l’enfant est conservant et sa pensée logico-mathématique met en place des raisonnements. Il n’est plus impulsif et vérifie ses intuitions, sans avoir recours à la
manipulation ou à tout autre support perceptif. Nous pouvons continuer l’expertise vers l’acquisition du langage écrit. La lecture inclut un savoir important en culture générale. L’enfant peut posséder un bon stock lexical, mais souffrir d'un savoir insuffisant qui ne soutient pas l’implicite du texte lu, et ne permet pas de le retenir ou de le restituer.
Cette échelle invite le praticien à faire des liens entre les compétences sensori-motrices, linguistiques, et logiques. Cette démarche intégrative est urgente à prendre en compte dans toute pratique et remédiation.
Le profil pragmatique de la CELF 5 complète l’échelle. Il est rempli par le praticien avec les parents ou responsables de l’enfant, et toutes personnes susceptibles de fournir des informations permettant d’évaluer la communication verbale et non verbale. Il permet de mieux comprendre les écueils dans les interactions avec leur jeune, au quotidien. Cet éclairage déculpabilise et donne des moyens d’actions. Aider le parent à repérer les défauts dans les échanges, permet de mieux cibler les actions à mener.
Le profil aborde les rituels et compétences conversationnelles. Par exemple, les formules de politesse sont des données sociales qui sont plus ou moins renforcées dans les familles. En revanche, ne pas répondre à une question peut évoquer un facteur attentionnel, lorsque l’enfant doit cesser son activité pour pouvoir répondre correctement. Certains enfants inhibent plus difficilement et font le choix de ne pas répondre. D’autres ne sauront pas organiser leurs informations verbales pour transmettre un fait passé. Ici les compétences cognitives font légion : verbale (lexique, syntaxe), fonctions exécutives (planification, inhibition avec le tri des informations
importantes et facultatives), sociale (tenir compte du statut de l’interlocuteur), pragmatique (comprendre les données manquantes et connues de l’interlocuteur pour être informatif sans être redondant). Le Profil des activités pragmatiques propose également des compétences de communication non verbales, telles que l’intonation de la voix, mettre en place des routines de salutation, mais aussi tous les accusés réception corporels tels que les gestes, les mimiques, et le langage corporel en général. Ces indications permettent de mieux comprendre comment s’articulent l’enfant et son milieu, quelle est sa place de locuteur indépendamment de ces compétences linguistiques et
cognitives.
La CELF 5 est très complète puisqu’elle propose aussi un questionnaire des activités langagières,
avec une analyse d’interactions entre le praticien et le jeune lors d’un jeu, ou d’un échange à propos d’un sujet défini « Conseiller un vêtement » par exemple. Le praticien aidé par une grille, peut ainsi cocher les attitudes verbales et non verbales observées, les tours de parole. Ce guide affute l’œil du praticien qui peut aussi s’appuyer sur un étalonnage. Il faut être vigilant à ne pas vouloir normaliser à tout prix les dynamiques dans les échanges, gommer les différences. Par exemple, dans le cadre de l’autisme, guider la famille pour mieux accéder au fonctionnement de leur enfant, permet d’éviter les comportements
problèmes chez l’enfant. Il sent qu’il a toute sa place. Qu’il peut aussi interagir à sa façon, avec des intentions, des dynamiques différentes.
Pour conclure, l’échelle d’observation permet de tenir compte de l’enfant locuteur, mais aussi en situation de réception. Le praticien pourra aisément faire le lien avec le développement sensori-moteur de l’enfant, point de départ de la communication. Investiguer la compréhension et l’expression de l’enfant à l’écrit, permet de mieux cibler les écueils ou forces dans les apprentissages scolaires. Afin d’assurer une guidance parentale au plus près du milieu écologique de l’enfant, le profil pragmatique
soutient l’observation du parent, éducateur, tout en mettant l’enfant au centre de ses propres dynamiques. Le questionnaire des activités pragmatiques
fournit quant à lui, des moyens concrets et adaptés pour aider l’enfant, mais aussi pour qu’il comprenne à son tour quel rôle il peut tenir dans les échanges. Le praticien, la famille, le jeune, comprennent simplement et naturellement les enjeux de la communication. Ils ne subissent plus les écarts et les difficultés. Ces questionnaires, et grilles enrichissent et orientent l’observation. Ils évitent tout placage, le praticien démarre là où en est l’enfant, en tenant compte du développement de la communication qui s’ancre dans des explorations sensori-motrices avant de s’enrichir de compétences linguistiques.
Bibliographie
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